Cher époux: « ne m’offre plus de brochettes le 8 mars »
Tous les 8 mars la femme est à l’honneur, disons-nous. C’est en effet, une journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Adoptée depuis 1977 par le système des Nations Unies, cette journée permet de faire le point sur l’amélioration des conditions de la femme. Ce n’est donc pas une journée de la femme ou bien une date pour la fête des mères.
À l’occasion de cette journée annuelle majeure, j’ai eu le privilège de m’entretenir avec une jeune épouse courageuse et mère de 2 petits enfants, vivant dans la capitale économique burundaise. Elle m’a fait savoir son point de vue sur la journée du 8 mars en tant que femme burundaise au foyer. Afin de livrer un témoignage sans filtre et tabou, elle a accepté de partager son histoire sous le pseudonyme de Nadine.
Nadine me fait alors savoir qu’elle a prévu un tout autre programme pour le 8 mars. En effet, cette année elle a décidé de marquer cette journée autrement:
« J’ai spécifiquement fait entendre à mon époux que je ne veux plus qu’il m’amène manger des brochettes le 8 mars comme il a l’habitude de le faire. Pour moi, le 8 mars n’est plus une journée de fête. Cette année je veux commencer la revendication de mes droits en tant qu’épouse, mères des enfants et femme au foyer ».
Le 8 mars, une journée de fête sans la moindre réflexion sur l’amélioration des conditions de vie de la femme
Au Burundi, tout comme dans beaucoup d’autres pays africains, le 8 mars est un événement vestimentaire. Un pagne, symbole de la femme africaine par excellence, est porté comme uniforme ce jour-là par hommes et femmes burundais.
Car le 8 mars, tout le monde fait semblant. Même chez les principales concernées.
Dans notre échange, Nadine souligne que ça fait un bon moment qu’elle observe comment « on célèbre la femme » dans son entourage. Par exemple, un homme qui veut soutenir sa femme, le 8 mars est une belle occasion pour lui offrir des fleurs, des cadeaux , la faire sortir et partager ses photos sur les réseaux sociaux. Certains diront même à haute voix que c’est un jour de repos pour permettre à la femme de s’amuser, de ne pas faire les travaux ménagers ou s’occuper des enfants. Des gestes louables, diront les autres. Mais pour Nadine, elle trouve que c’est une façon de prendre réellement à la légère les droits des femmes et leur combat quotidien.
En effet, le jour suivant, les choses reviennent automatiquement à la normale: les mêmes lamentations des femmes battues ou dont les maris sont infidèles mais qui sont réduites au silence par une société qui leur fait toujours entendre que « ariko zubakwa » sont toujours là. Ou encore toutes ces femmes qui ne peuvent toujours pas exercer certaines professions sans l’autorisation de leurs maris. Pourtant, elles ont toutes fait la fête le 8 mars. Car le 8 mars, tout le monde fait semblant. Même les principales concernées (les femmes). « Évidemment que c’est un jour pour oublier et fêter un peu malgré notre calvaire quotidien », disent certaines amies de Nadine.
Nadine trouve que cet événement annuel majeur est spécialement réduit à la fête et au port du pagne. Ce qu’elle trouve très déplorable vu le chemin qui reste encore à faire en matière de droits de la femme. C’est à se demander même si derrière toutes ses célébrations, les femmes ont compris le sens premier de cette journée, à savoir celui de la lutte pour l’amélioration des conditions de la femme.
Le 8 mars: un combat au quotidien
Nadine m’a expliqué qu’elle a un diplôme universitaire mais que ça fait des années qu’elle est femme au foyer à cause du chômage. Financièrement elle est donc quasiment dépendante de son mari. Une situation très difficile à vivre.
« Je vis dans une situation sociale qui fait que je sois peu apte à revendiquer mes droits, poursuivit-elle. Je n’ai pas de droit de regard sur les comptes bancaires de mon mari. Ce qui est tout à fait normal pour lui, puisque c’est lui qui gagne de l’argent. De plus, j’ai une belle-mère qui a beaucoup à dire dans notre foyer. Elle me reproche de ne pas être une bonne cuisinière et de ne pas bien m’occuper de nos enfants. J’ai même été contrainte de décliner une offre d’emploi temporaire à l’intérieur du pays. Simple justification: une bonne épouse et mère des enfants ne devrait pas laisser son foyer à moins qu’elle souhaite voir son mariage voler en éclats…Je dirais que je subis une violence économique et psychologique de la part de mon conjoint. Des fois, cette même violence se manifeste comme une arme de domination dans nos rapports sexuels. Par exemple: je n’ai pas le droit de lui dire non. Son argument éternel: je lui dois obéissance puisqu’il subvienne à mes besoins ».
Tout au long de notre entretien, Nadine me révéla qu’à un certain moment elle s’est bien interrogée sur sa place au foyer. Des fois, elle s’est même culpabilisée en se disant qu’elle n’avait pas eu le courage de contester certaines décisions prises sans son consentement. Quand son mari, lui a annoncé qu’il envisageait la faire sortir pour prendre un verre à l’occasion de « la fête des femmes », Nadine a calmement répondu:
« Non merci! Pour moi, le 8 mars n’est plus une journée de fête. C’est un jour qui me rappelle que j’ai un combat à poursuivre. Et j’aimerais que tu me donnes le temps de m’écouter sérieusement…Très surpris, il m’a reproché de vouloir faire la grève dans sa maison ».
#ChooseToChallenge: un autre programme pour le 8 mars
Cette année, la campagne de la journée internationale des droits de la femme a choisi le thème #ChooseToChallenge – choisir de contester. Au fur et à mesure que Nadine décrivait ses défits quotidiens, je fus envahie par un sentiment d’admiration envers cette femme, qui a enfin compris la nécessité de connaître ses droits et de défier ceux qui les abusent – en commençant par son propre mari. Une prise de conscience qui par ailleurs s’inscrit dans le contexte du thème de cette année.
Pour ce faire, Nadine me dit qu’elle a pris son courage à deux mains et a décidé de faire quelque chose d’inattendu le jour avant la journée internationale de lutte pour les droits de la femme:
« J’ai choisi de contester pacifiquement, tout en remettant en question certaines réalités dans lesquelles je vis. J’ai d’abord affiché sur les murs de notre chambre une liste des attitudes qui m’empêchent d’être correctement valorisée dans mon foyer. J’ai ensuite affiché une autre liste de quelques recommandations qui me permettraient de réaliser mon potentiel et atteindre l’épanouissement personnel. Cela n’a pas du tout été facile. Il faut se sentir assez confiante pour oser dire non à certaines choses.
Pour finir, je lui ai proposé de faire une marche sportive ensemble… Tout ça pour sur les murs afin de permettre une bonne visualisation... Je sais qu’il aime faire du sport. Ainsi, j’espère avoir l’occasion de lui parler dans un cadre inhabituel et que lui, il m’écoutera et s’interrogera. Je ne sais pas franchement ce que ça va donner. Mais une chose est sûre: je ne veux plus qu’on me dise bonne fête, qu’on me donne de pagne ou m’offre à boire et à manger. Je veux tout simplement que mes droits soient respectés. Cette année j’ai décidé de défier l’homme que j’aime beaucoup et qui est le père de mes enfants. Pour donner un bon exemple à nos enfants, le changement doit commencer par nous- et dans notre foyer » conclue Nadine.
À toi femme burundaise: est-tu prête à défier et remettre en question certaines attitudes et structures définies par notre société patriarcale? Est-tu prête à contribuer à ton développement personnel pour créer un monde inclusif?
Je nous souhaite à nous tous une bonne réflexion en ce jour du 8 mars.
J’admire tous les Nadines..ça fait si mal de voir ce qu’elle subit, donnons leur le courage d’affronter leurs malheurs quotidiens. Ça finira par aller in jour.